21 avril 2023
129 acteurs de la société civile alertent sur la remise en cause de la liberté des associations, dans le texte suivant, relayé dans une version courte dans le JDD :
Le 5 avril dernier, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, interpellé lors d’une audition sénatoriale, sur les critiques formulées par la Ligue des Droits de l’Homme quant à l’action des forces de l’ordre à Sainte Soline, a indiqué que, dans ce contexte, les subventions accordées par l’Etat à la LDH devraient en effet être examinées, avant d’enjoindre les collectivités territoriales à faire de même. Loin de remettre en cause ces propos, la Première Ministre a renchéri en questionnant certaines prises de position de cette même association.
Ces déclarations ont, à juste titre, suscité de vives réactions. Parce que l’expression du ministre de l’Intérieur ressemble à l’expression d’un fait du prince usant de son pouvoir pour réduire les oppositions, et parce qu’elle porte sur une association dont l’histoire est faite, depuis 125 ans, de combats pour protéger les droits et libertés de tous et toutes et faire vivre les valeurs de la République, y compris parfois face aux autorités elles-mêmes.
Il est évidemment normal qu’un financeur s’assure de la bonne utilisation des fonds par les associations qu’il subventionne ; mais cela sur la base des missions qui sont celles de l’association, et pour lesquelles elle est soutenue ; et non pas conformément à ce que souhaiteraient entendre celles ou ceux qui pour un temps ont la responsabilité de la gestion de l’Etat. Ainsi que le rappelle à juste titre la circulaire relative aux relations entre pouvoirs publics et associations du 29 septembre 2015, « l’octroi de subventions doit favoriser un partenariat équilibré entre pouvoirs publics et associations. » Subventionner une association ne veut pas dire la contraindre au silence. La grandeur d’une démocratie est justement de savoir soutenir la diversité des approches et des points de vue qui permettent le débat et qui sont aussi des contre-pouvoirs nécessaires. Il est donc extrêmement grave qu’un ministre de la République puisse ouvertement mettre en question les financements accordés à une association parce que cette dernière, dans le respect de la loi, a une parole critique sur l’action de l’Etat.
Mais si le ministre de l’Intérieur se permet cette mise en cause et en question si directe, c’est parce que le climat aujourd’hui l’y autorise. En effet aussi choquantes soient ces déclarations, nous ne pouvons malheureusement pas en être complètement surpris. Elles interviennent dans un contexte où de nombreux signaux, bien que moins visibles, traduisent cette volonté de remettre en cause les libertés et l’indépendance des associations et de renforcer le contrôle sur les organisations de la société civile.
La loi confortant le respect des principes de la République et ses dispositions relatives au Contrat d’engagement républicain, à l’élargissement des motifs de dissolution d’associations, au renforcement des mesures de contrôle des financements sont une traduction très concrète de ce tournant dans les rapports entre administrations et associations. Le contrat d’engagement républicain, notamment utilisé pour remettre en cause la subvention versée à l’association Alternatiba Poitiers, dénature la relation de confiance qui doit prévaloir entre pouvoirs publics et associations, mettant en place une forme de brevet préalable de « conformité républicaine » contraire à l’esprit de la loi 1901. Et quand les dispositions de ce Contrat ne sont pas directement activées, il constitue de plus en plus souvent une épée de Damoclès, voire une menace non déguisée pour des associations dont les activités militantes ne répondent pas aux positions de leurs interlocuteurs politiques. Cette boite de Pandore qui a été ouverte conduit aujourd’hui des élus territoriaux à vouloir imposer aux associations dans leurs actions les exigences de neutralité qui n’ont à s’appliquer qu’aux services publics ; conduit des parlementaires à vouloir pénaliser des associations pour les actions individuelles de leurs membres, en dehors de toute intervention de justice ; conduit certaines administrations à exiger d’associations, au prétexte qu’elles reçoivent des fonds publics, qu’elles se censurent dans leurs pratiques. Qu’il s’agisse de nouvelles contraintes administratives, de nouveaux textes législatifs ou de déclarations publiques, certaines associations se retrouvent de plus en plus souvent contraintes dans leur capacité d’actions, voire attaquées dans leur capacité à interpeller les pouvoirs publics.
Cette fragilisation est dangereuse. Elle a des impacts. Des impacts sur celles et ceux qui sont engagées pour l’action, qui s’investissent pour le collectif et pour l’intérêt général et auxquels on renvoie soit de la défiance soit de la contrainte. Des impacts sur la capacité à prendre en compte les voies de transformation qui sont bien souvent portées par les associations, parfois à la limite de ce que sont les règles admises, souvent en tout cas ailleurs que dans ce que proposent les politiques publiques. Des impacts enfin et surtout, pour notre vitalité démocratique et pour sa sérénité. Nous avons plus que jamais besoin de ces espaces de construction de la parole et de l’action collectives que sont les associations et de la contribution qu’elles peuvent apporter, sous de multiples formes au débat public. Limiter et contraindre ces expressions ne peut que contribuer à exacerber des tensions déjà vives dans notre société.
Les alertes sont aujourd’hui trop nombreuses et récurrentes pour qu’elles ne soient pas prises au sérieux. La Défenseure des droits, dans un communiqué du 14 avril, constate « une intensification des risques d’atteintes à la liberté d’association » et souligne qu’ « une telle évolution est hautement problématique dans un État démocratique ». Plus que jamais, il est essentiel de réaffirmer collectivement notre attachement aux libertés associatives, de rendre publiques toutes les atteintes qui y seront portées et nous mobiliser contre ces attaques.
Il est de la responsabilité du Gouvernement aujourd’hui, de cesser les amalgames et d’affirmer haut et fort, en mots et en actes, que les libertés associatives sont au cœur de notre pacte démocratique. Nous appelons également tous ceux et toutes celles qui en savent toute l’importance, et notamment les élus territoriaux qui construisent au quotidien avec les associations, à se mobiliser pour elles.
Un an après des élections où le Président de la République lui-même expliquait que le vote « l’obligeait », n’ayons pas peur de la démocratie. Ayons la sagesse de ne pas considérer toute opposition comme un « nouveau séparatisme ». Ayons l’intelligence de débattre sans nous invectiver. Ayons le courage de réinstaurer un dialogue de confiance entre les pouvoirs publics et les associations. Il en est encore temps !